• Une forme de vie d’Amélie Nothomb

     

    Comme tous les ans, la presse n'oublie pas la promo du dernier Nothomb. Et c'est son rôle!

    Il est donc difficile de passer à côté,  de ne pas y penser et surtout de l'oublier. La publication d'un livre par an inscrit le lecteur dans une sorte de continuité comme ce serait le cas avec une série de bandes dessinées ou télévisées. mais est-ce cela qui fidélise son lectorat? Non. Une année est bien trop longue pour cela.

    Pourtant, comme tous les ans, les Gocentriques éprouvent une curiosité aigüe quant au nouveau cru. Ils auraient pu s'en désintéresser suite à leur déception toute relative de ses derniers romans  mais ce n'est pas le cas. Relative oui. Car les romans d'Amélie Nothomb, même si certains sont moins bons que d'autres il faut bien se l'avouer, contiennent une étrangeté qui ne laissent pas indifférent. De la simple lecture à la lecture au xème degré, chacun trouve son compte si ce n'est que pour critiquer. Rien que cela n'est pas rien. Il n'y a rien de pire que l'indifférence.

    L'étrangeté d'Amélie Nothomb n'est pas à confondre avec le monde fantastique. Quoique. La structure de ses romans est souvent squelettique et les nombreux thèmes abordés nous plongent dans des situations peu probables laissant la plupart du temps un goût amer  après la lecture.  Pourtant son étrangeté laisse également une étrange coloration. Mais qu'a t elle voulu dire? A force de sous entendus on n'entend plus.  Ce ne sont pas des paraboles, au mieux juste des bols dans lesquels nous tournons en rond. Pourtant cette étrangeté interroge. Rien qu'en cela elle attire.

    Alors les Gocentriques s'intéressent à nouveau à cette nouvelle rentrée littéraire et apprécient la promo d'Une forme de vie dans toute sa simplicité. On ne nous ressert pas une unique phrase qui présenterait son livre. Non. Juste un extrait, un extrait qui ouvre sur cette curiosité que chaque lecteur nothombien attend avec impatience d'assouvir, ne sachant pas encore s'il fera ou non une indigestion.

    La simplicité mais en apparence.

    Car Une forme de vie présente une couverture peu commune. Là on reconnait bien l'autodérision de l'auteure mais aussi sa force qui consiste à prendre à contre pied ce qui la dérange pour en faire sa force.
    Son portrait devient objet et l'objet une oeuvre d'art. Amélie s'efface pour mettre en avant la représentation de son livre.

    Combien même les Gocentriques avaient détesté la photo de Pierre et Gilles, photo toute provocatrice, sans âme, juste dans l'esthétisme la plus froide.

    Combien même ils aiment celle de Sarah Moon : Amélie Nothomb est moche.  Son visage est livide, macabre, son expression au regard gothique est effrayante. Portrait flou aux couleurs passées.Bref, cela ressemble…A une forme de vie.

    Les Gocentriques ne cachent donc pas leur impatience à découvrir ce nouveau livre le 19 Aout. Avec le risque…D'effets indésirables!

     

    uneformedevie.jpg

    Pour en savoir plus :

    http://passiondelire.blog.24heures.ch/archive/2010/07/21/lectures-d-ete-1.html

     

     

    Extrait d'Une forme de vie :

     

     

     

    “Je suis cet être poreux à qui les gens font jouer un rôle écrasant dans leur vie.”

    Ce matin-là, je reçus une lettre d'un genre nouveau :

    Chère Amélie Nothomb,

    Je suis soldat de 2e classe dans l'armée américaine, mon nom est Melvin Mapple, vous pouvez m'appeler Mel. Je suis posté à Bagdad depuis le début de cette fichue guerre, il y a plus de six ans. Je vous écris parce que je souffre comme un chien. J'ai besoin d'un peu de compréhension et vous, vous me comprendrez, je le sais.

    Répondez-moi. J'espère vous lire bientôt.

    Melvin Mapple

    Bagdad, le 18/12/2008

    Je crus d'abord à un canular. A supposer que ce Melvin Mapple existe, avait-il le droit de m'écrire de telles choses ? N'y avait-il pas une censure militaire qui n'eût jamais laissé passer le “fucking” devant “war” ?

    J'examinai le courrier. Si c'était un faux, l'exécution en était remarquable. Une timbreuse américaine l'avait affranchi, un cachet irakien l'avait estampillé. Ce qui faisait le plus vrai était la calligraphie : cette écriture américaine de base, simple et stéréotypée, que j'avais tellement observée lors de mes séjours aux Etats-Unis. Et ce ton direct, d'une légitimité indiscutable.

    Quand je ne doutai plus de l'authenticité de la missive, je fus frappée par la dimension la plus incroyable d'un tel message : s'il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'un soldat américain vivant de l'intérieur cette guerre depuis le début souffre “comme un chien”, il était hallucinant qu'il me l'écrive à moi.

    Comment avait-il entendu parler de moi ? Certains de mes romans avaient été traduits en anglais et avaient eu aux Etats-Unis un accueil plutôt confidentiel, cinq années auparavant. J'avais déjà reçu sans surprise des plis de militaires belges ou français qui, le plus souvent, demandaient des photos dédicacées. Mais un 2e classe de l'armée américaine basé en Irak, cela me dépassait.

    Savait-il qui j'étais ? A part l'adresse de mon éditeur correctement libellée sur l'enveloppe, rien ne le prouvait. “J'ai besoin d'un peu de compréhension et vous, vous me comprendrez, je le sais.” Comment pouvait-il savoir que moi, je le comprendrais ? A supposer qu'il ait lu mes livres, ceux-ci étaient-ils les témoignages les plus flagrants de la compréhension et de la compassion humaines ? Tant qu'à être une marraine de guerre, le choix de Melvin Mapple me laissait perplexe.

    D'autre part, avais-je envie de ses confidences ? Tant de gens déjà m'écrivaient leurs peines en long et en large. Ma capacité à supporter la douleur d'autrui était au bord de la rupture. De plus, la souffrance d'un soldat américain, cela prendrait de la place. Contiendrais-je un tel volume ? Non.

    Melvin Mapple avait sûrement besoin d'un psy. Ce n'était pas mon métier. Me mettre à la disposition de ses confidences serait lui rendre un mauvais service, car il se croirait dispensé de la thérapie dont six années de guerre avaient dû engendrer la nécessité.

    Ne pas répondre du tout m'eût paru un rien salaud. Je trouvai une solution médiane : je dédicaçai au soldat mes livres traduits en anglais, je les empaquetai et les lui postai. Ainsi, il me sembla avoir fait un geste pour le sous-fifre de l'armée américaine et j'eus ma conscience pour moi.

    Plus tard, je songeai que l'absence de censure militaire s'expliquait sans doute par la récente élection de Barack Obama à la présidence ; certes, il n'entrerait en fonction que plus d'un mois après, mais ce bouleversement devait déjà produire ses effets. Obama n'avait cessé de prendre position contre cette guerre et de déclarer qu'en cas de victoire démocrate, il rappellerait les troupes. J'imaginais le retour imminent de Melvin Mapple dans son Amérique natale : mes fantasmes le voyaient arriver dans une ferme confortable, entourée de champs de maïs, ses parents lui ouvrant les bras. Cette idée acheva de m'apaiser. Comme il n'aurait pas manqué d'emporter mes livres dédicacés, j'aurais indirectement contribué à la pratique de la lecture dans la Corn Belt.

    Copyright Albin Michel. En librairie le 18 août.  

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